• Chapitre 4 - J'irais cuisiner chez vous

    Chapitre 4 - J'irais cuisiner chez vous

     

    Deux jours plus tard, en fin de journée, le soleil était en rendez-vous. Ni trop chaud, ni trop frais, comme un soleil de mi- printemps. Iseult terminait sa journée de travail épuisante et toujours si peu intéressante bien qu’elle fut promu il y a peu.  Mais il lui fallait reconnaître que la plonge n’avait rien de palpitant. Ce qu’elle souhaitait, c’était cuisiner. Elle mit sa déception de côté, préférant être positive et voir le bon dans cette évolution de carrière.

     

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    Elle descendit de son bus dans un quartier peu connu de Willow Creek. Curieuse, elle observa autour d’elle et découvrit un petit cours d’eau qui ruisselait non loin là. Juste à côté une maison moderne et impressionnante. Elle resta un instant sur place, bluffée et stupéfaite par la bâtisse. Elle qui n’avait aucun toit, elle jalousa la fortune sous-jacente de la famille Aventuri car c’était là une maison de vacances.

     

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    Elle s’en approcha sur la pointe des pieds comme une enfant intimidée puis toqua à la porte. Quelques instants après, une femme au visage chaleureux lui ouvrit la porte, un peu curieuse de voir une jeune femme sur le pas de la porte.

    - Bonjour Madame, je m’appelle Iseult. J’ai rencontré votre mari il y a quelques soirs, en ville.

    - Oh ! La Signorina ! Si, entre ! Entre !

    L’adulte s’engouffra dans la maison, faisant signe à Iseult de la suivre.

    - Ma mari est installé sur le salon.

    Elle pianota dans les airs, agitant avec grâce ses doigts. Iseult ne comprit pas ce qu’elle voulait imager mais hocha du chef avec un petit sourire, afin de ne pas la vexer. La femme s’exprimait avec plus d’aisance que Fabio mais Iseult avait relevé les légères fautes. 

    - Je ne voudrais pas m’imposer, je peux revenir plus tard.

    - No ! Nous sommes en vacances ! Il n’y a pas mieux moment !

    Iseult la remercia pour son accueil et s’assit non loin de Fabio qui pianotait avec concentration sur son clavier d’ordinateur, comme lui indiqua Madame Aventuri.

     

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    - Bonjour ! Dit-elle après un petit moment de silence.

    Elle avait attendu patiemment qu’il la remarque mais l’homme était trop absorbé par son écran. Patiente, d’accord, mais pas trop. Au bout de trois minutes, elle décida de se manifester. Il eut alors un petit sursaut et sourit à Iseult lorsqu’il la reconnut.

    - La Signorina ! Vous êtes venue !

    Elle sourit, un peu gênée. Elle n’osa le dire mais il fut insistant lorsqu’il l’invita.

    - Que faites-vous ? Je m’en voudrais de vous déranger.

    - Du travail.

    - Oh ! Dans ce cas, je reviendrai !

    Iseult s’empressa de se lever faisant mine de partir mais l’homme la retint avec un petit claquement de langue qui surprit la demoiselle.

    - Je pas avoir pour longtemps.

    Elle vit derrière lui sa femme lui faire signe de la rejoindre dans le salon. Un peu gênée et peu assurée, Iseult resta figée sur place.

     

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    - Venez Signorina ! Je vais vous présenter ma famille. Voici ma fille, Valentina, l’adolescente la salua d’un signe de main, et mon fils Nino.

    Ce dernier se contenta d’un signe de tête accompagné d’un sourire poli.

    - Je m’en voudrais de m’imposer, vous êtes en famille et…

    - Tut tut ! Intervint la mère de famille. Nous sommes en vacances et nous aimons recevoir gens.

    -Mais…

     

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    - Laisse tomber, Mamma n’accepte que le "oui".

    Cela fit doucement rire la cuisinière en herbe qui accepta l’invitation en s’asseyant sur le second canapé.

    - Tu es la sauveuse de Papa ?

    - Sauveuse est un grand mot.

    - Pas si grand mot. Si Papa n’est pas à l’heure à un rendez-vous, il risque sa tête.

    - Valentina ! S’insurgea la mère.

    - Je confirme, même si je n’aurais pas dit ça comme ça. Ajouta le jeune home.

    - Nino !

    Iseult rit doucement derrière sa main. La mère avait beau être outrée, elle pouvait lire l’amour et l’amusement pour ses enfants dans son regard. Cela lui fit un léger pincement au cœur, étreinte par une certaine nostalgie.

     

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    - N’écoute pas ces méchants enfants, Signorina.

    Iseult secoua la tête montrant qu’elle n’était pas mal à l’aise ou autre. Son petit sourire montrait, au contraire, son amusement.

    Je suis Florencia

    - Iseult Vauganne.

    - Mon mari dire que tu travailles dans restaurant ?

    - C’est bien ça. Je suis … encore en apprentissage.

    Non qu’elle avait honte de commencer en bas de l’échelle mais elle sentait le besoin d’impressionner la famille Aventuri. Pourquoi ? Elle l’ignorait elle-même. La conversation continua, échangeant des banalités. Iseult apprit que Florencia était femme au foyer tandis que son mari était dirigeant d’une petite entreprise florissante. Iseult n’arriva pas à saisir le domaine mais elle comprit que la famille se portait bien financièrement. Valentina était encore lycéenne et dut suivre ses parents pour les vacances. Elle disait à qui voulait l’entendre qu’elle préférerait profiter d’un bord de mer à se dorer la pilule avec ses amies plutôt que devoir supporter ses parents. L’adolescence… Un âge qu’Iseult ne regrettait pas tant que ça. Nino demeura silencieux parmi les femmes de sa famille bien trop bavarde. Pourtant, il était celui qui intriguait le plus la jeune femme.

     

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    En allant aux toilettes, Iseult découvrit avec émerveillement la cuisine toute équipée de la maison. Telle une enfant devant un jouet, elle sautillait sur place, se mordillant la lèvre inférieure. Elle avait des étoiles dans les yeux et ne savait où regarder. Elle scruta autour d’elle à l’affut du moindre signe de vie et décida de braver l’interdit ! Elle ouvrit le frigo et trouva quelques ingrédients qui lui donnèrent une idée. Quelle était heureuse de pouvoir ENFIN cuisiner ! Cela lui avait tant manqué !

     

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    Trop concentrée par sa tâche, Iseult n’entendit pas arriver le maître des lieux qui, lorsqu’il la vit, eut un mouvement de recul. Surpris, interloqué, Fabio resta coi et fixa son invitée sans-gêne s’affairer dans la cuisine de sa femme. Il tenta de garder son calme mais sa voix fit sursauter l’impertinente enfant.

    - Signorina !

    - Oh… Monsieur Aventuri !

    Lorsqu’il l’interpella, Iseult eut un sursaut qui renversa son saladier sur le comptoir. Elle s’empressa de rétablir l’équilibre du plat puis laissa s’échapper un soupir contrit devant l’infime gâchis qui tâchait le bois.

    - Je peux savoir ce que toi faire ?

    - Et bien…

     

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    Elle se plaça en face de lui, les yeux rivés sur le sol, les doigts s’entrelaçant. Bien des signes extérieurs qui démontraient sa gêne et sa honte. Ce petit rappel à l’ordre lui fit se souvenir de sa place : une simple invitée.

    - Je peux expliquer, Monsieur Aventuri. L’œil noir de l’homme la fit déglutir et regarder encore plus le sol. Ma situation est plus… Désastreuse que je n’ai bien voulu vous dire.

    Elle se mura dans le silence un instant. Elle avait honte de sa situation, elle ne pouvait le nier et mettre de nouvelles personnes dans la confidence ne lui plaisait guère. Pourtant, elle sentait au fond d’elle qu’elle n’avait plus le choix.

    - Je suis arrivée dans cette ville il y a peu. Croyant faire une bonne affaire, j’ai acheté un grand terrain où l’on promettait monts et merveilles. Le jour de mon arrivée, je me suis retrouvée face à la réalité : un terrain vague pour moustiques comme colocataires.

     

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    L’homme mûr la fixa, sans trop commenter réagir. Bien que sa maîtrise de la langue soit bancale, il avait parfaitement compris la "Signorina" et ce qu’il entendit lui fit mal au cœur. La vie était injuste pour beaucoup mais connaître une personne dans le besoin alors qu’il vivait aisément lui rappelait sa propre jeunesse. Il n’était pas né riche, il avait construit sa fortune tout seul cependant, on lui tendit une main généreuse qui lui permit de se sortir de la misère.

    - Je… Je n’ai qu’une tente pour maison, Monsieur. Je mange les restes au travail et m’offre de temps à autres un repas bon marché au distributeur d’une des salles de sport de la ville, où j’emprunte également une douche.

    Elle osa enfin le regarder dans les yeux, et il put y lire la sincérité. La demoiselle Vauganne ne mentait pas et cela lui arracha presque une larme. Mais il était un homme, un père de famille et sa fierté ne lui autorisait pas la moindre faiblesse émotive. Il croisa les bras alors puis fixa son invité. Il n’avait dit mot, préférant l’écouter.

     

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    - Je vous en prie… Ne vous fâchez pas. Je vous trouve sympathique et votre famille attachante. Je serais triste de vous avoir déçu ou blessé. Ce n’était pas mon attention… Elle laissa son regard se poser sur la préparation qu’elle effectuait. Pour tout vous dire, je suis très gênée de m’être présentée les mains vides mais vu ma situation… Je ne pouvais pas faire grand-chose. Je ne suis pas douée pour beaucoup de chose mais cuisiner oui. Alors je me suis dit que je pouvais vous préparer un plat de chez moi.

    Le rouge teintait ses joues et l’homme soupira. Elle paniqua un instant prenant ce soupir comme une exaspération. Mais lorsqu’elle sentit les bras de Fabio autour d’elle, elle tendit peu habituée puis se laissa aller en lui rendant l’étreinte.

    Signorina, ça être touchante histoire ! J’accepte plat de chez toi, Petite.

     

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    - La cuisine être à toi !

    Ce fut les derniers mots de Fabio avant de libérer la jeune femme de son étreinte et rejoindre le reste de sa famille. Iseult resta un petit instant interdite, muette de stupeur, ne réalisant pas réellement la situation. Cela pouvait être risible aux yeux de certains mais pour elle, cela voulait dire beaucoup. Elle sourit, les yeux vers le sol, la main sur son bras. Elle aurait presque laissé une larme lui échapper mais le bonheur était plus fort. Elle releva ses manches invisibles et se remit à la tâche.

    Pendant que le four chauffait, elle termina sa préparation avec une minutie calculée et habituée. Elle avait fait et refait tant de fois ce plat avec sa mère qu’elle n’avait besoin de peser. Elle enfourna ses petits moules puis attendit patiemment que cela cuise tout en rageant et nettoyant. Elle sifflotait tout en s’exécutant. Cela renforçait son envie de devenir Cheffe !

     

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    Une fois la cuisson terminée, Iseult déposa le plat encore chaud sur la table de la cuisine. Elle demeurait envieuse de cette cuisine haute-gamme, de cette table joliment décorée. Elle enviait toujours simplement la maison. Elle devait reconnaître que la vie sous une tente n’était pas pour elle et que cela lui pesait énormément. Mais elle allait devoir le supporter encore un bon moment. L’argent ne poussait pas sur les arbres après tout.

     

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    Sentant la bonne odeur se répandre dans la maison, la famille Aventuri apparut, curieux et impatients de goûter à ces pâtisseries venus d’un autre pays. Assis à leur place respective, les 4 têtes brunes se firent servir par leur invitée, improvisée hôtesse. Ils la remercièrent avant de s’attaquer au petit gâteau qui trônait dans leur assiette. Fabio prit le temps de sentir le parfum.

    - On dirait qu’il y a de la cannelle, hasard a-t-il dans sa langue.

    - Je crois qu’il y en a, en effet, répondit sa femme. Je détecte comme une pointe de miel.

    Les enfants restèrent silencieux, mâchant leur nourriture. Ils avaient pour habitude d’écouter leurs parents jouer les épicuriens. Cela fit sourire l’aîné tendais que l’adolescente soupirait entre deux bouchées.

     

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    - Vous ne dites rien, les enfants ?

    - Qu’est-ce que tu veux qu’on dise, Mamma ? C’est bon alors je mange.

    Florencia soupira tout en secouant la tête. Sa fille était vraiment insolente par moment, mais elle la préférait ainsi que murait dans le silence et sans aucun caractère.

    - Et toi, Nino ?

    - J’aime bien. C’est différent de ce que tu nous fais habituellement.

    - Bien essayé, Jeune homme. Rit doucement la mère. Mais la flatterie ne te mènera pas loin.

    - Quelle tristesse, ma propre mère refuse mon amour.

    - Idiot, ta mère t’aime et sait que tu l’aimes. Tu ne cherches qu’à me taquiner et à me mettre en colère.

    Le jeune homme rit devant la fausse colère de sa mère. C’était un jeu entre eux. La taquinerie ne demeura pas là et la dégustation se fait dans la joie et la bonne humeur.

    Et Iseult dans tout cela ? La demoiselle avait préféré laisser les Aventuri en paix, le temps d’un bain. Fabio l’avait prise en pitié et l’avait suppliait d’utiliser sa salle de bain. Elle ne savait comment le prendre, par ailleurs. Sentait-elle si mauvais ?

     

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    Dégustation terminée, table débarrassée et adolescente exilée dans sa chambre, les adultes restèrent entre eux jusqu’à l’arrivée de la cuisinière qui reçut des éloges sincères. Elle rougissait sans trop savoir où se mettre et bégaya des remerciements indistincts. Le couple Aventuri s’engagea dans une discussion pleine de nostalgie concernant leurs premières vacances en amoureux, bien avant leur mariage. Iseult était heureuse pour eux, de les voir encore si amoureux mais elle était mal à l’aise face à cet étalage d’affection. Ses propres parents furent toujours discrets. Ils s’aimaient, elle n’en doutait pas, mais les doux mots et les élans d’affections demeurèrent dans le secret. Elle aperçut du coin de l’œil le fils de la famille et décida de le rejoindre.

    Je suis désolée de m’être imposée comme ça.

    Le jeune homme la fixa, silencieux. Cela augmenta la gêne d’Iseult qui ouvrait et refermait la bouche sans trouver la bonne manière de continuer la conversation.

    - Oh… Peut-être que vous ne parlez pas la langue d’ici… J’ai l’air bête maintenant.

    Elle gonfla une joue, honteuse. Elle ressemblait alors à une enfant boudeuse. Elle releva la tête en entendant un rire discret. Outrée, elle fusilla du regard Nino qui toussotait dans son poing, les yeux virevoltant à droite comme un gauche.

     

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    Le rire qu’il tentait d’étouffer s’intensifia et il se mit à tousser. Il trouvait la jeune femme facile à taquiner et cela l’amusait énormément. Les joues rouges et les yeux brillants de gêne, elle était comme une enfant en plein caprice et il trouvait cela adorable. Elle donnait envie de la taquiner plus encore. Mais il la joua beau prince et mit fin à son supplice.

    - Vous vous moquez de moi, n’est-ce pas ?

    - Un peu, je l’avoue.

    Iseult vit rouge, elle serra les poings et gonfla les joues à nouveau, ressemblant à un hamster. Il retint son envie de lui pincer les joues, comme il le ferait avec sa petite sœur.

     

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    - Le plat était très bon. Qu’est-ce que c’était ?

    Iseult eut un moment de silence, choquée de l’entendre parler avec aisance et presque sans accent. Elle avait imaginé que Nino était aussi doué que ses parents pour cette langue. Erreur fatale, elle nota dans un coin de sa tête qu’il ne fallait juger un livre sur sa couverture et ceux qui l’entoure.

    - Oh ! C’est une pâtisserie simple. On appelle ça des Yorkshire Pudding. D’ordinaire, on le laisse nature mais ma famille aimait ajouter du miel et un peu de cannelle. Mais peut-être n’aimez-vous pas la cannelle ? C’est assez particulier si l’on en met trop.

    Elle s’emballa, encore, lorsqu’on lui en laissait l’opportunité. La cuisine, la nourriture. Elle souhaitait dissimuler son enthousiasme mais Nino pouvait voir ses yeux briller de joie. Le sourire qu’elle peinait à contenir fut un bon indice également.

    - No, no ! C’était excellent. Peu habituel cela dit, ça me change de la cuisine de ma mère.

    - C’est vrai que la cuisine italisime est plus épicée et colorée.

     

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    Le temps passa et la nuit s’installa plus profondément. Souhaitant laisser les Aventuri se retirer pour la nuit, Iseult quitta la maison après les avoir salué et remercié. Sous la –faible- insistance de Florencia, Nino dut accompagner la demoiselle dehors. Iseult s’était tue et se laissa guider par le jeune homme. La tête basse, les yeux rivés sur le sol, elle ne savait quoi faire. Peut-être avait-il décelé son malaise, il l’invita à s’asseoir sur un l’un des bancs du parc du quartier. L’air était frais et agréable, loin du froid que les nuits du printemps pouvaient offrir.

     

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    - Pas trop froid ?

    - Non, ça va, merci. Répondit la jeune femme un peu dans le vague. Je suis désolée du dérangement.

    - Comment ça ?

    Iseult prit une profonde inspiration avant de fixer la lune qui effectuait sa montée dans le ciel, loin des soucis humains.

    - Il est tard et j’ai l’impression de te forcer la main en me raccompagnant.

    - Ah ça… Le fait qu’il ne démentit pas blessa Iseult. Je le fais parce que je le veux bien, ne t’en fais pas. Et puis la nuit est agréable, ça serait dommage de ne pas en profiter.

    Iseult lui offrit un petit sourire avant de replonger dans le mutisme. Il fut vrai que la nuit était agréable. Le dos contre le dossier du banc en bois, légèrement humide par la nuit, Iseult se laissa aller dans sa contemplation. Elle avait une vue imprenable sur la lune. Etait-ce ainsi «chez elle», sur son terrain en friche ? Elle n’avait jamais pris le temps d’observer le ciel depuis son arrivée à Willow Creek.

    - A quoi penses-tu ?

     

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    La jeune femme regarda son compagnon avant de reprendre sa contemplation du ciel.

    - A tout, à rien. Je ne sais pas trop.

    - C’est bien vague et triste à la fois, comme réponse.

    A cela, Iseult sourit avec amertume.

    - C’est peut-être parce que la vie n’est pas si joyeuse qu’on le souhaiterait ?

    Nino arqua un sourcil devant cette réflexion tandis qu’Iseult soupirait, lassée d’elle-même.

    - Ton père t’a-t-il raconté ?

    - Raconté quoi ?

    - … Non, rien.

    Ce fut au tour du jeune homme de soupirer. Alors qu’elle fut joyeuse depuis son arrivée chez eux, la voir triste et désabusée le faisait voir la jeune femme autrement. Loin d’être comme sa petite sœur Valentina, Iseult était une femme torturée et complexe. Il croisa les bras, se cala également contre le dossier du banc et attendit un instant avant de reprendre la conversation.

     

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    - Que tu aies des secrets, soit. Mais ne pas terminer tes phrases, ce n’est correct. Se faire rabrouer de la sorte ébranlant la demoiselle qui fixa avec stupeur son interlocuteur. A trop porter de fardeau, tu vas t’écrouler. Il faut parfois partager.

    - Nino…

    Je sais bien qu’on ne se connait pas mais j’aime les personnes sincères et franches.

    Mais Iseult n’était pas ce genre de personne. Certes, la sincérité ne lui faisait pas défaut mais honnête la définissait mieux. Son côté timoré l’empêchait de s’exprimer, tout simplement.

    - Je peux comprendre que tu sois timide, Iseult. Il avait une manière de prononcer son prénom qui faisait obligatoirement sourire la brune. Cependant, j’ai envie de t’aider.

    Elle cligna des yeux tout en le fixant. L’aider ? Elle, la parfaite inconnue qui eut l’outrecuidance d’investir la cuisine familiale et d’y faire la loi quelques minutes ? Hébétée, elle n’avait cessé de le fixer et cela amusa et énerva à la fois Nino qui attendait une réaction de la jeune femme. Il se leva alors, agacé par le manque de réaction de sa partenaire et la força à se décaler sur le banc avant de prendre sa place.

     

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    - Mais qu’est-ce que tu fais ? Tenta de comprendre Iseult.

    - Je prends ta place !

    - Ca j’ai bien vu ! Mais pourquoi ?

    - Je prends ta place : je suis Iseult, tu es Nino.

    Eberluée, Iseult cligna des yeux à répétition. L’expression d’effarement de la jeune cuisinière fit rire aux éclats le jeune homme qui reprit difficilement son sérieux devant l’air outré qu’adopta immédiatement la belle.

    - Si tu me crois incapable de comprendre tes problèmes, je vais tenter de la deviner en prenant ta place.

    - C’est n’importe quoi ! Rit Iseult.

    - Ça ne coûte rien d’essayer. Elle haussa les épaules, obligée de le reconnaître. Bien, qu’est-ce qui peut bien embêter une demoiselle dans ton genre... Il tapota son menton du bout de l’index. Problème de cœur ? Hasard a-t-il.

    La moue dégoûtée d’Iseult le fit rire avant de chercher autre chose.

     

    Chapitre 4 - J'irais cuisiner chez vous

     

    Il se passa une main dans le cou, ne sachant quoi proposer d’autre.

    - Tu as peut-être raison… Admit-il au bout de deux minutes de réflexion et de silence. Je ne suis pas très doué pour lire dans le cœur des gens. Alors deviner leurs problèmes.

    - La clé est que, peut-être, il n’y en a pas. De problème. Cette réflexion fit arquer un sourcil à Nino. Ne me regarde pas comme ça ! Je te jure que tout va bien dans ma vie. Juste… J’apprécie simplement le silence et le calme, après une journée de travail.

    - C’est vrai que nous sommes en semaine, j’oubliais. Comme je suis en vacances…

    - Ne t’en fais pas. D’ailleurs, je ne t’ai pas posé la question : que fais-tu dans la vie ?

    - Je suis photographe indépendant.

    - Oh !

    - Rien de bien impressionnant. Je n’en suis qu’au début de ma carrière alors je fais surtout de l’alimentaire mais mon rêve serait de parcourir le monde afin d’offrir à ceux qui n’en ont pas les moyens la possibilité de voir des paysages grandioses.

    Un sourire plein d’affection ourla les lèvres de la brune. Elle trouvait ce rêve merveilleux et empli de générosité.

     

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    Dans un élan un peu fou, Iseult prit l’une des main de Nino entre les siennes, ce qui le força à la regarder.

    - Il n’y a pas plus belle ambition que celle qui est destinée à dessiner un sourire sur le visage des autres.

    Surpris, il la fixa un moment avant de recouvrir de sa main les siennes. Iseult rougit jusqu’aux oreilles et regarda tour à tour les mains et le visage souriant avec tendresse de Nino.

    - De merveilleux mots de la part d’une merveilleuse femme.

    Iseult tenta de retirer ses mains, de s’éloigner de lui. Confuse, gênée, embarrassée mais heureuse.

     

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    Sentant la gêne de sa partenaire, Nino commença à la chatouiller. Chose qui provoqua l’hilarité chez Iseult, se tordant dans tous les sens et laissant échapper des rires clairs et chantant à travers la nuit. L’entendre rire ainsi amena le sourire aux lèvres du photographe qui apprécia la sonorité. Il aimait la voix douce et posée de la jeune femme mais son rire franc contrastait avec son calme habituel. Riant tous deux un bon moment, ils s’arrêtèrent, essoufflés lorsqu’un voisin peu patient râla non loin.

    Ce fut, un peu honteux, que le duo se sépara. La nuit était bien entamée et Iseult avait un bus à prendre. Yeux dans les yeux, sourire aux lèvres, Nino et Iseult se quittèrent.

     


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